ESPRIT D'ÉQUIPE et DISTANCIATION SOCIALE

  • mercredi, 1 / 4 / 2020
  • Claire Couroyer

La pandémie du Covid-19 et son caractère potentiellement répétitif à l’avenir rebat les cartes de la notion d’esprit d’équipe dans la mesure où elle force nombre de salariés à travailler à distance ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés en termes de cohésion d’équipe à long terme.

 Le contexte de confinement accélère l’expérimentation de l’usage intensif des outils de communication et semble ancrer dans la société l’efficience du travail à distance, soit, à l’avenir, la réduction du travail en présentiel.
Face à ce risque de délitement de l’esprit d’équipe, pouvons-nous le réinventer voire le réenchanter ?

les « esprits » ne se laissent pas facilement apprivoiser

Force est de constater que l’esprit d’équipe est bien le leitmotiv de nombre d’entreprises, un terreau patiemment cultivé pour favoriser un état de dépassement des salariés, une conscience commune, une transcendance qui oblige à aller au-delà de la simple exécution d’une fiche de poste.

Mais ce fameux esprit d’équipe revêt un caractère un peu mystérieux car c’est avant tout un « esprit » et par essence les « esprits » ne se laissent pas facilement apprivoiser. Il est l’objet de notre conscience mais aussi le siège de notre inconscient qui résiste et nous joue des tours : perte de sens, boring-out, actes manqués, volontés déficientes…

Par conséquent, si cultiver l’esprit d’équipe est bien le leitmotiv des entreprises, il n’en demeure pas moins que c’est un art difficile car il nécessite d’agir sur le psychisme des salariés sans oublier qu’il s’appréhende classiquement à travers une contiguïté spatiale et temporelle des salariés.Il s’éclot au mieux dans un cadre favorisant le regroupement de ses membres sous un même lieu et cette promiscuité plus ou moins choisie favorise une certaine camaraderie et sociabilité. Cette proximité situationnelle actionne deux sens que la communication à distance ne peut reproduire : l’olfactif et le toucher (plus largement une dimension kinesthésique).


L’esprit d’équipe d’une formation sportive perdrait sans doute beaucoup si ces membres s’entrainaient trop souvent à distance dans la mesure où les accolades et le souvenir des odeurs de l’effort construisent la mémoire d’un collectif enchanteur. Mais parce que l’esprit d’équipe est avant tout un état psychique, un imaginaire il est prioritaire de définir très précisément et authentiquement le but de la mission et les finalités de l’entreprise afin de ne laisser aucune prise à des incohérences ou antinomies rhétoriques. Ce travail en profondeur peut tout à fait s’élaborer à distance via un usage sélectif des outils de communications qui pourraient même réduire les phénomènes de mimétisme inhérent au rassemblement d’un groupe sous un même toit.


De plus c’est ce travail sur cette homogénéité communicationnelle et sémantique qui accroitra à terme le renforcement du sentiment d’utilité professionnelle et de reconnaissance. La propagation des apéritifs virtuels nous renseigne sur la résilience de notre sociabilité et par conséquent il serait tout à fait intéressant d’introduire un rituel de consommation de boisson et/ou de nourriture durant l’entame de certaines réunions afin d’activer dans nos mémoires non pas uniquement des souvenirs visuels et auditifs mais aussi des souvenirs gustatifs et olfactifs symbole d’une convivialité collégiale.

deux apprentissages à conduire en parallèle

Ces pratiques reproduiraient les formes de sociabilités que nous activons naturellement en présentiel au sein des espaces de rencontres formels ou informels des entreprises. Nous pouvons en grande partie faire mentir l’adage : « loin des yeux, loin du cœur » car les outils technologiques du moment peuvent reproduire pour un temps donné les caractéristiques de l’esprit d’équipe s’ils sont employés à bon escient en termes d’usage et de déploiement car ils permettent de côtoyer ses collègues, de partager des tâches communes et de reproduire certains rituels inhérents à la pratique du travail.

Tout ceci implique bien sûr que les personnes chargées d'animer ces esprits d'équipe, communément appelés "managers" aient une aisance quant au maniement pertinent de ces outils d'une part, qu'ils soient correctement au fait des codes du management digital à distance, qu'ils se fixent et fixent un cadre clair et acceptable pour le collectif. Cela veut dire qu'il y a là deux apprentissages à conduire en parallèle : celui du contenant (les outils et moyens de communication) et celui du contenu (les objectifs et finalités pour lesquels les collectifs se réunissent à distance. Enfin et en tenant compte de ce qui précède, leur rôle de "Community Managers", c'est-à-dire de savoir animer une communauté dans un état d'esprit donné, serait augmenté par la nécessité de produire un résultat x, pour maintenir l'engagement et la mobilisation de tous.Après tout, la question de cet éloignement ne devrait pas se poser de façon aussi cruciale dans la mesure où nous avons dit que l’esprit d’équipe est davantage une prédisposition à ressentir en soi l’écho de ce que les autres ressentent et aussi l’impression de ne faire qu’un.

la caractéristique d’un esprit est d’être indifférent à l’éloignement

Paradoxalement, cette distanciation sociale des équipes, met en lumière la nécessité pour les managers de disposer et mettre en oeuvre une vraie intelligence interpersonnelle, appelée aussi intelligence sociale. C'est-à-dire de savoir agir et réagir avec l'autre de façon correcte, de témoigner de l'empathie face aux difficultés liées à cette situation, de faire preuve de tolérance, d'être capable de détecter les intentions des membres de son équipe, notamment pour résoudre les problèmes relationnels qui peuvent être exacerbées par la distance, et de trouver des solutions viables avec tous.

Et pour faire cela, avoir une juste représentation de soi-même et donc des autres, est indispensable, et cela s'appelle l'intelligence intra-personnelle. Comment être capable d'analyser les comportements des autres et de comprendre leurs réactions, si l'on n'est déjà pas capable de le faire pour soi ?

Par conséquent, la caractéristique d’un esprit est d’être indifférent à l’éloignement car lui seul transcende la volonté de chacun de ses membres. On peut même parier que sur une période donnée, le management des équipes évolue fortement vers une nouvelle dimension, et que tous deux, l'esprit d'équipe et le management, ressortent renforcés de cet éloignement.

Laurent Assouly / Claire Couroyer

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