LEADERS' LAB - Opus 2 : Pourquoi les transformations peinent-elles à se faire et/ou à réussir ?

  • mercredi, 15 / 3 / 2023
  • Claire Couroyer

Ouverture

L’échange a commencé par un partage authentique et un centrage des participants : un rappel de ce qui est essentiel et inhérent à notre humanité. Et en finalité, il y avait une forme de convergence pour dire que ce qui reste et laisse des traces, c’est plus la vie et les liens que l’on a tissés avec nos proches, que le travail, même si et quand celui-ci a été très intéressant. L’émotion s’est naturellement exprimée, ce qui a confirmé que le cadre de confiance s’était installé.

Les résonances autour de la transformation ont animé nos participants depuis notre dernier échange, et le but de cette 2ème rencontre, était de poursuivre et/ou d’approfondir ces échanges, et d’être dans le plaisir de se retrouver.

La discussion a commencé par la manière dont une équipe dirigeante peut incarner la transformation pour engager les collaborateurs, et l’authenticité avec laquelle les choses sont dites. On en revient donc à l’Humain. Et un des éléments dont la transformation peut dépendre est la façon dont la gouvernance s’exerce au sein d’une Organisation.

Avant d’entrer dans le vif sujet, l’un des leaders nous a partagé une lecture intéressante : celle de l’ouvrage « Corporate Rebels » (ou 8 alternatives pour transformer radicalement le travail) de Joost Minnaar et Pim de Morree aux éditions Dunod.

Nous poursuivons la discussion avec un cas concret : la mise en place d’une gouvernance partagée.

 

LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES

L’exemple d’une Gouvernance partagée

Confier les clés d’une entreprise à un CoDir qui décide collectivement, sans « un chef » proclamé, peut être perturbant pour les collaborateurs et les laisser dubitatifs. Dans un tel cas de figure, clarifier le modèle, la matrice décisionnelle, le périmètre de chacun et le communiquer aux collaborateurs constitue une fondation de la gouvernance partagée : c’est ce qui permet de rassurer les équipes, d’éclairer et fluidifier les canaux de communication et faciliter la prise de décision avec un tel modèle.

« Qui est le pilote ? »

Un modèle collaboratif nécessite d’effacer les enjeux de pouvoir. Cela demande une certaine maturité, la transparence et une valeur commune d’engagement. C’est un schéma qui repose sur l’humilité de chacune des parties prenantes, car une gouvernance partagée ne peut exister que si chacun(e) accepte de laisser ses opinions et préférences personnelles de côté, et met son expertise et énergie de conviction au service des objectifs de l’entreprise.

L’usage du feedback appuyé par des faits concrets, observables sera précieux, l’ouverture de la discussion et la création du cadre collectif également. Chacun(e) doit accepter les règles du jeu, bien qu’elles puissent à un moment donné tourner à son désavantage. Les modalités de prise de décision doivent être discutées et agréées, surtout en cas de désaccord : est-on sur un consensus ? Un vote à la majorité ? Qui tranche en cas de désaccord ? Reste-t-il un leadership directif ? Le contexte est-il favorable à l’expression des arguments individuels ? Quelles sont les « métarègles » de l’équipe, comment l’équipe gère sa régulation ?

Deux questions d’ouverture sur le modèle, qui seront éprouvées par l’expérience :
• Est-on dans l’idéalisme avec un tel modèle ?
• Fixer des règles de fonctionnement dans un groupe devient nécessaire pour bien communiquer, ainsi, une gouvernance partagée peut-elle fonctionner dans la durabilité et à large échelle ?

 

Identité et culture d’entreprise

En phase d’hyper-croissance, l’entreprise se retrouve confrontée à une transformation de son identité. La culture, les valeurs évoluent : les personnes présentes avant le changement risquent de ne plus s’y retrouver, face à l’afflux de nouvelles recrues apportant une différence, et/ou un changement de tempo managérial.

Pendant la transformation, faut-il chercher à conserver absolument son socle de valeurs fondamentales - pourvu qu’elles aient été définies ?
Ou à l’inverse, faut-il chercher à diversifier les profils quitte à challenger l’identité de l’organisation ?

Dans les grands groupes, les valeurs sont clairement définies et cascadées, mais les véritables questions sont :
• À quel point sont-elles incarnées par leurs leaders ?
• Existe-t-il vraiment une congruence entre les mots et les actes ?

C’est un point d’attention majeur, d’autant plus dans le contexte actuel : les difficultés de recrutement des jeunes générations, en quête de sens et d’impact, questionnent les entreprises sur leurs valeurs. Ces nouveaux collaborateurs se désinvestissent des modèles incohérents et vont jusqu’à sanctionner publiquement une communication désalignée (ex : greenwashing). Le leader doit incarner ce qu’il prône, et devenir une figure d’exemplarité, au risque de se priver de précieuses ressources, perdre en crédibilité ou être en risque de réputation.

La culture de l’entreprise peut ensuite s’intégrer à toutes les strates de l’organisation, jusqu’au collaborateur en relation avec le client. Lorsque la cascade est bien faite, les comportements en phase avec les principes de l’entreprise deviennent alors spontanés.

 

« Soit on vit les valeurs que l’on prétend incarner, soit c’est du bullshit ».

Toute transformation nécessite Bienveillance et Exigence

Comment adopter une posture entre bienveillance et exigence ?

L’exigence est acceptée lorsque la bienveillance est présente, et cette bienveillance se met en place car on a une raisonnable perspective que la situation s’améliore. La frontière est donc fine entre l’intention de faire grandir l’autre et la dérive du « sauveur » qui fait entrer les parties prenantes dans le triangle dramatique. Les médecins disent souvent qu’on ne peut pas guérir les gens d’eux-mêmes, car c’est à l’individu de faire ses propres choix, quand bien même ceux-ci iraient à l’encontre des préconisations médicales. C’est la même idée pour le coaching professionnel : s’il n’y a pas de volonté de changement, s’il n’existe pas de demande claire, le coach est neutralisé et ne peut rien faire.

Ainsi, de la même manière dans l’entreprise, il n’est pas utile de chercher à sortir une personne du déni. Il reste bien entendu pertinent de continuer à informer, chercher à embarquer une personne passive et lui formuler du feedback constructif, avec un dosage équilibré.

« J’observe, j’analyse et j’agis en conséquence. »

La bienveillance peut se définir comme l’absence totale d’intention cachée, l’absence totale de manipulation. C’est considérer l’autre comme Adulte, et non Enfant (en référence aux modèles d’Analyse Transactionnelle). C’est confronter l’autre aux faits, à la réalité, au bénéfice de l’autre et non du sien. C’est le responsabiliser. La bienveillance est une condition de l’exigence, autrement on parlerait plutôt de système coercitif.

 

Déconstruire ou faire évoluer ses propres systèmes ?

Le leader confronté à la transformation est parfois amené à défaire des systèmes à la création desquels il a lui-même contribué.

La déconstruction impose un détachement de l’ego : accepter que je ne suis pas tout(e)-puissant(e). Cela requiert de se concentrer sur le sens de ce que l’on cherche à accomplir : quel est le véritable but ?

C’est attacher plus d’attention à la construction de la finalité qu’au processus. Il devient alors nécessaire de se détacher du processus et accepter les critiques autour de ce qu’on a construit.

 

« Il ne faut pas être amoureux de son produit, mais du problème que l’on cherche à résoudre. »

Plutôt que parler de déconstruction, il est même plus pertinent d’évoquer l’évolution du système, ce qui permet d’’inscrire l’entreprise dans une dynamique d’amélioration continue pour diminuer la résistance au changement. C’est faire grandir le système, le dé-personnifier : il vaut mieux quelque chose qui marche rapidement imparfaitement, qu’un système parfait qui ne verra jamais le jour en raison de sa déconnexion du terrain. « Viser grand, commencer petit » plutôt que concevoir l’outil parfait, cher en réflexion, et inapte à la réalité.

Dans notre prisme culturel, l’injonction à la perfection et à la réussite sont profondément ancrés, c’est pourquoi cette philosophie du « Quick and Dirty », qui n’est autre que celle « du 1er jet », est parfois méprisée.

On peut imaginer que c’est en particulier vrai dans les grands groupes, moins sujets aux dynamiques de croissance rapides que les startups. Ces dernières, à l’inverse, embrassent généralement une culture dans laquelle l’adaptation et la rapidité sont de mise, et donc la tolérance à l’erreur et l’adoption d’une logique « Test and Learn ». Et bien que cela puisse être aussi vrai à plus grande échelle, la mise en œuvre y serait plus ardue.

 

« Il n’y a pas plus efficace qu’un processus qui ne sert à rien, fait avec efficience. »

Ainsi, le processus comme finalité tue l’innovation : il doit être un outil au service de l’innovation et non contraindre l’innovation à respecter un processus.

L’autonomisation des équipes

Dans notre contexte de profondes mutations, faciliter l’autonomisation des équipes devient une qualité essentielle du leader, notamment pour attirer les nouvelles générations.

« Qu’est-ce qui te fera dire que tu as réussi en tant que manager ?
Quand ils n’auront plus besoin de moi. »

D’après Daniel Pink, il existe trois ingrédients pour installer une motivation intrinsèque chez une personne : le Sens, l’Autonomie, la Maîtrise des actions (source : La vérité sur ce qui nous motive).

Générer cette motivation interne connecte immédiatement la personne à son libre-arbitre, à sa liberté. Et cette même liberté suppose un haut niveau de responsabilité : cela entraîne un inconfort, qui amène rapidement à se questionner sur la notion de Bien et de Mal, savoir où fixer sa propre limite. La servilité est un inconfort bien plus facile, qui permet de décharger sa responsabilité sur la décision du chef. C’est pourquoi développer son leadership suppose de connaître et d’affirmer son identité avec authenticité.

 

La valeur du leader : exemple du Chef coutumier
Le CHEF, dans le contexte TRADITIONNEL africain, est le souverain d'une entité ethnico-culturelle, et tient son pouvoir traditionnel de ses origines qui le placent dans la lignée de la dynastie dont l'ancêtre est le fondateur. Il s’agit ici d’un principe d’hérédité.
Le Chef n'est donc pas élu ; il y a un ordre successoral qui le désigne et que sa dynastie reconnaît pour l'introniser et le présenter à la Communauté toute entière.
Le rôle du souverain est de diriger son peuple au quotidien, organiser la vie communautaire, promouvoir une excellente cohabitation entre les citoyens, être la courroie de transmission entre l'administration étatique et ses populations.
Et pour l’aider dans toutes ces tâches non exhaustives, le souverain a un "Conseil des Notables" (ou Conseil des Sages), qui est ici le reflet d'un gouvernement avec des rôles bien répartis.
Ce qui fait qu’un chef coutumier va être respecté, c’est avant tout une reconnaissance des actes du quotidien. Ce sont des personnes qui incarnent les valeurs de leur lignée, avec sagesse et humilité et s’investissent dans la vie de la communauté pour prendre des décisions à l’écoute du collectif, même s’ils sont en désaccord. Ils ont une fonction de régulation du groupe, et permettent bien souvent d’éviter l’escalade politique ou judiciaire. Ils évitent d’ailleurs de prendre parti pour un camp, restent neutres dans l’équilibre des forces politiques, et jaugent en permanence une décision en fonction de ce qui sera juste pour le plus grand nombre et pour la pérennité de la Communauté. Et leur autorité est entièrement mise au service du Bien Commun.

 

Clôture

Nos participants ont laissé libre cours à leurs idées au cours d’un deuxième échange aussi fructueux que le premier, à tel point qu’ils ne semblaient pas prêts à se quitter. Le partage entre pairs, installés dans un cadre sécurisant, constitue une opportunité pour ces leaders d’ouvrir leur vision du monde et de l’entreprise, de confronter leurs points de vue et de s’enrichir au contact de l’autre.

Nous sommes heureuses d’avoir pu rassembler et connecter ces dirigeant(e)s à travers quelques instants suspendus dans le temps.

Leurs paroles nous permettent également de confronter d’autres dirigeants avec exigence et bienveillance pour les aider dans leur transformation.

Le sujet de la Gouvernance ayant suscité un vif intérêt, le prochain groupe de Leaders’ Lab sera consacré à ce sujet avec l'intitulé suivant : "Gouvernance(s) : vers quelles évolutions en lien avec les enjeux sociétaux ?", animé par Claire Couroyer et un expert de la gouvernance.

Nous tenons à remercier chaleureusement les contributeurs de ce 2ème et dernier Opus sur les Transformations : Virginie Bosquette (Directrice Financière - Teledyne e2v, Olivier Dambricourt (Président Directeur Générall - Moret Industries), Stéphane Oudin (Directeur Général Axian Telecom), Xavier Feltin (Co-fondateur Komugi).

Claire Couroyer – Pauline Rougé

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